C’est déjà la fin de la matinée. Juste rentré chez moi
je m’affale de complaisance sur le canapé d’un air campé par l’ironie du sort,
une clé, un coffre, un mystère de la Poste antérieure, un expéditeur inconnu…
et une certaine trouille d’introduire le bout de métal sans savoir. Tout ça
n’est pas du meilleur aloi, trop facile, trop rapide, trop de questions malgré
tout.
Pourquoi la Poste n’a aucune réponse sur un truc
administratif sensé être tellement contrôlé ? Pourquoi ce coffre m’est
envoyé à moi ? Par qui ? Pourquoi toute cette épreuve pour récupérer
une clé sous les fesses d’un banc pour mamies au public averti ? Quelqu’un
qui connait le lieu et les environs de ma résidence. Quelqu’un qui savait que
je serais là aujourd’hui pour ne pas manquer le camion… je ne connais personne
à la Poste… ma mère ? Oh non, n’importe quoi !
D’un geste programmé par habitude compulsive, je
plonge ma main dans la poche de mon pantalon, pour en sortir le Zippo et mon
paquet de blondes à cogiter. Ouverture de l’habitacle d’un bruissement
cartonné, petite tape sous l’objet pour éjecter une cigarette, glissement du
papier sur papier, humectation du filtre, cliquetis clinquant du couvercle en
métal du briquet, roulement égratigné de la molette sur la pierre, rencontre de
l’air et de l’essence en étincelle de flamme à l’explosion sommaire, aspiration
et crépitement des matières chimiques agrémentées d’un additif de tabac, râle
de contentement en poussée fumigène dans le salon. Ok, je peux réfléchir.
‒ C’est pas ma mère… ma mère est chiante mais pas
lourdingue ! dis-je à voix haute, tout seul au milieu de la pièce comme
pour me persuader de la bêtise de ma pensée.
La clé est devant moi. Le coffre à deux pas. Mes yeux
vont et viennent de l’un à l’autre en se bousculant. Je les ferme par
abrutissement.
‒ Un PUTAIN de jour de congé !
Je sens que le niveau de mes incertitudes monte comme
le lait sur le feu alors qu’il va falloir manger, mais je n’ai pas faim. Je
veux une piste, sérieuse, rapidement. Je jure au fond de moi que je me mets à
la cigarette électronique si cette histoire a une fin heureuse. En attendant,
mes nerfs m’appellent, un Laphroaig fera l’affaire, sec. Glouglou lapidaire
remplissant la moitié d’un verre, fumet ambré d’humus des îles écossaises
remontant jusqu’aux narines, inspiration nasale test du produit, tourbillon
olfactif émigrant au cerveau en gerbes de plaisir séquencées. Je glisse le bord
du contenant sur mes lèvres contenues et tremblantes. Le téléphone sonne.
‒ Allô ?
‒ Mon titounet ! Alors ? Ton colis ? Où
en es-tu ?
‒ Tu… tu es pour quelque chose dans tout ça
m’man ?
Je crispe la bouche et fronce les sourcils, en attente
des reproches circonstanciels de la déconvenue qu’offrent le contexte et la
teneur de ma question… à ma mère, tout de même.
‒ Je te demande pardon ?
‒ Pour le colis m’man… c’est toi ?
Un ange passe.
Le calme avant la tempête…
‒ QUOI ? MAIS QU’EST-CE QUE TU RACONTES ?
‒ Non rien, je ne raconte rien, laisse tomber, oublie
ma ques…
‒ Tu me prends pour une cachotière ? Tu insinues
que ta mère te cause du souci, des problèmes ? Que je t’ai mal
élevé ? Tu sais très bien que ton père est parti quand tu étais jeune j’ai
fait ce que j’ai pu oui je ne suis pas parfaite mais accuser sa mère comme ça
sans même lui expliquer de quoi il en retourne j’ai sué sang et eau pour te
garantir une bonne éducation et…
‒ Mais non m’man…
‒… et toi tu me rends responsable ? Tu me tires
dans l’dos des années après comme un reproche sur ce que je n’aurais pas pu
arriver à faire sans ton père alors que je passe mon temps à t’aider encore et
à être toujours là pour te soutenir et…
(Ma mère tiendrait un WIFI 4G en respect et au
garde-à-vous)
‒ Mais non m’man, c’est pas ça…
‒ C’est pas ça ? Vraiment ? C’est quoi
alors ? Explique-toi ! C’est toi le cachotier et moi la mauvaise
mère ?
‒ Mais pas du tout, non…
‒ Attend voir, J’ARRIVE ! Clic !
Tûûûûûûûûûûûûûûûûûûû……
Un instant qui me parait une éternité chauffe
lentement mon single malt que je tiens à la main, j’ai toujours dans l’autre le
combiné collé à l’oreille. Je jure au fond de moi que je deviendrai moins con
si tout ça finit bien. Ma mère habite à dix minutes. Je décide de remplir mon
verre de sa seconde moitié sans avoir encore touché son contenu. Finalement, en
y repensant vite fait, je préférais encore Jackie et Clodie. Je crois qu’en
fait ma mère n’est pas chiante… elle est juste lourdingue.
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