dimanche 5 octobre 2014

La douleur de mes suspicions Chapitre 5 par Necromongers

C’est déjà la fin de la matinée. Juste rentré chez moi je m’affale de complaisance sur le canapé d’un air campé par l’ironie du sort, une clé, un coffre, un mystère de la Poste antérieure, un expéditeur inconnu… et une certaine trouille d’introduire le bout de métal sans savoir. Tout ça n’est pas du meilleur aloi, trop facile, trop rapide, trop de questions malgré tout.

Pourquoi la Poste n’a aucune réponse sur un truc administratif sensé être tellement contrôlé ? Pourquoi ce coffre m’est envoyé à moi ? Par qui ? Pourquoi toute cette épreuve pour récupérer une clé sous les fesses d’un banc pour mamies au public averti ? Quelqu’un qui connait le lieu et les environs de ma résidence. Quelqu’un qui savait que je serais là aujourd’hui pour ne pas manquer le camion… je ne connais personne à la Poste… ma mère ? Oh non, n’importe quoi !

D’un geste programmé par habitude compulsive, je plonge ma main dans la poche de mon pantalon, pour en sortir le Zippo et mon paquet de blondes à cogiter. Ouverture de l’habitacle d’un bruissement cartonné, petite tape sous l’objet pour éjecter une cigarette, glissement du papier sur papier, humectation du filtre, cliquetis clinquant du couvercle en métal du briquet, roulement égratigné de la molette sur la pierre, rencontre de l’air et de l’essence en étincelle de flamme à l’explosion sommaire, aspiration et crépitement des matières chimiques agrémentées d’un additif de tabac, râle de contentement en poussée fumigène dans le salon. Ok, je peux réfléchir.

‒ C’est pas ma mère… ma mère est chiante mais pas lourdingue ! dis-je à voix haute, tout seul au milieu de la pièce comme pour me persuader de la bêtise de ma pensée.

La clé est devant moi. Le coffre à deux pas. Mes yeux vont et viennent de l’un à l’autre en se bousculant. Je les ferme par abrutissement.

‒ Un PUTAIN de jour de congé !

Je sens que le niveau de mes incertitudes monte comme le lait sur le feu alors qu’il va falloir manger, mais je n’ai pas faim. Je veux une piste, sérieuse, rapidement. Je jure au fond de moi que je me mets à la cigarette électronique si cette histoire a une fin heureuse. En attendant, mes nerfs m’appellent, un Laphroaig fera l’affaire, sec. Glouglou lapidaire remplissant la moitié d’un verre, fumet ambré d’humus des îles écossaises remontant jusqu’aux narines, inspiration nasale test du produit, tourbillon olfactif émigrant au cerveau en gerbes de plaisir séquencées. Je glisse le bord du contenant sur mes lèvres contenues et tremblantes. Le téléphone sonne.

‒ Allô ?

‒ Mon titounet ! Alors ? Ton colis ? Où en es-tu ?

‒ Tu… tu es pour quelque chose dans tout ça m’man ?

Je crispe la bouche et fronce les sourcils, en attente des reproches circonstanciels de la déconvenue qu’offrent le contexte et la teneur de ma question… à ma mère, tout de même.

‒ Je te demande pardon ?

‒ Pour le colis m’man… c’est toi ?

Un ange passe.

Le calme avant la tempête…

‒ QUOI ? MAIS QU’EST-CE QUE TU RACONTES ?

‒ Non rien, je ne raconte rien, laisse tomber, oublie ma ques…

‒ Tu me prends pour une cachotière ? Tu insinues que ta mère te cause du souci, des problèmes ? Que je t’ai mal élevé ? Tu sais très bien que ton père est parti quand tu étais jeune j’ai fait ce que j’ai pu oui je ne suis pas parfaite mais accuser sa mère comme ça sans même lui expliquer de quoi il en retourne j’ai sué sang et eau pour te garantir une bonne éducation et…

‒ Mais non m’man…

‒… et toi tu me rends responsable ? Tu me tires dans l’dos des années après comme un reproche sur ce que je n’aurais pas pu arriver à faire sans ton père alors que je passe mon temps à t’aider encore et à être toujours là pour te soutenir et…

(Ma mère tiendrait un WIFI 4G en respect et au garde-à-vous)

‒ Mais non m’man, c’est pas ça…

‒ C’est pas ça ? Vraiment ? C’est quoi alors ? Explique-toi ! C’est toi le cachotier et moi la mauvaise mère ?

‒ Mais pas du tout, non…

‒ Attend voir, J’ARRIVE ! Clic ! Tûûûûûûûûûûûûûûûûûûû……


Un instant qui me parait une éternité chauffe lentement mon single malt que je tiens à la main, j’ai toujours dans l’autre le combiné collé à l’oreille. Je jure au fond de moi que je deviendrai moins con si tout ça finit bien. Ma mère habite à dix minutes. Je décide de remplir mon verre de sa seconde moitié sans avoir encore touché son contenu. Finalement, en y repensant vite fait, je préférais encore Jackie et Clodie. Je crois qu’en fait ma mère n’est pas chiante… elle est juste lourdingue.

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